Elevage de poissons à domicile:
La nouvelle tendance au Pays des hommes intègres

Tout le monde est unanime sur cette question : le Burkina Faso est un pays où les ressources en eau sont très limitées. Cependant, le poisson est rentré dans les habitudes alimentaires des populations. En effet, la consommation moyenne par habitant et par an est passée de 2,4 kg en 2000 à 8,6 kg en 2022. Ce qui représente un besoin de 180 000 tonnes par an comme demande du marché alors que l’offre nationale tourne seulement autour de 30 000 tonnes. Tout le reste est importé d’autres pays comme la Chine, la Russie, le Vietnam ou la Thaïlande. D’où un gap et un déficit important de la balance commerciale en ressources halieutiques de plus de 40 milliards de F CFA.

Pour l’ancien directeur général des ressources halieutiques du Burkina, l’alternative la plus crédible est le développement de la pisciculture. Sachant en effet que la production par la pêche de capture a atteint un niveau de surexploitation des ressources halieutiques dû à la pêche illicite non réglementée et non contrôlée qui entraine des baisses de stocks de l’ensemble des pêcheries et partant un effondrement de la plupart des pêcheries, Moustapha Tassembedo estime qu’il faut développer des technologies appropriées de production moins gourmandes en besoin hydrique et permettant un recyclage de l’eau dans le contexte du Burkina Faso.

« Aussi, ces technologies devraient intégrer des équipements performants de filtration et aération de l’eau afin de permettre une production optimale en pisciculture », a-t-il expliqué, ajoutant que ces technologies devraient aussi être moins gourmandes en consommation d’électricité ou basée sur l’énergie solaire afin d’augmenter le niveau de rentabilité économique de la pisciculture.

Et même si à l’heure actuelle, aucune structure n’a réussi à remplir ces conditions pour une pisciculture commerciale rentable, on rencontre néanmoins des Burkinabè qui sont sur la bonne voie.

C’est le cas par exemple d’Oumarou Ki, agent du ministère de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat que nous avons rencontré à son domicile, sis au quartier Saaba de la ville de Ouagadougou. Un homme sympathique, ouvert et très porté sur la parenté à plaisanterie qui n’hésite pas à placer une petite blague au détour d’une phrase pour nous mettre à l’aise. Ingénieur météorologue, il a mis en place un système aquaponique (élevage de poissons et d’agriculture hors sol) dans sa maison. Grâce à une documentation très poussée, il a conçu lui-même ces installations de pisciculture en circuit fermé où c’est la même eau qui est utilisée d’abord pour les poissons avant de se retrouver vers les plantes pour être filtrée et revenir chez les clarias, l’une des deux espèces domestiquées au Burkina, l’autre étant le tilapia.

« Initialement, j’ai développé cette initiative pour ma propre consommation. Mais si on arrive à produire 200kg tous les 45 jour, ça devient difficile. Et comme je n’ai pas encore commencé à vendre, je partage avec mes voisins ou avec mes parents », a déclaré notre interlocuteur, avec le même sourire qui ne le quitte pratiquement pas. Selon ses explications, lorsque ses silures atteignent la taille adulte (à partir de 10 mois ou un an), il les donne à ceux qui font la reproduction.

Après quatre ans d’expérimentation dans ce qu’il appelle son labo et après avoir atteint une quatrième version en allant de modification en modification, l’ingénieur météorologue ambitionne de construire un système on ne peut plus performant sur une parcelle de 300m2. En attendant, il assiste plusieurs personnes qui tentent de faire la même chose en leur permettant d’éviter les erreurs qu’il a pu commettre au départ et de ne pas subir ainsi de perte. « Généralement, je conseille aux débutants de commencer petit et si après deux cycles, soit une année, tout se passe bien, on peut aller à grande échelle », a suggéré Oumarou Ki. Abordant les difficultés, il dira : « Au début, le problème venait des alevins qui étaient importés du Mali ou du Ghana. Mais depuis, plusieurs se sont lancés dans leur production ». Et effectivement, dans nos recherches, nous avons pu faire la connaissance de l’un d’entre eux.
Il s’agit de Jonathan Fayçal Aouba, technicien en aquaculture, qui fait la reproduction artificielle des poissons dans la zone de Komsilga. Il met ainsi sur le marché les alevins pour ceux qui veulent se lancer dans la pisciculture. Revenant sur ses débuts dans cette activité, notre interlocuteur, qui a d’abord essayé l’aviculture sans résultats, a finalement décidé de changer son fusil d’épaule.

« On a commencé à faire la pêche de poissons sauvages. C’était difficile d’avoir des poissons d’élevage. Du coup, on allait dans les rivières et autres pour capturer des tilapias sauvages qu’on avait du mal à garder en vie puisqu’on n’avait pas certains dispositifs comme les compresseurs à air et les systèmes d’oxygène.

Au cours de ces huit ans d’activité, Jonathan Aouba a dû surmonter toutes sortes de difficultés liées au terrain, la disponibilité de l’eau, le coût du matériel ainsi que le manque d’aliments de qualité dont le prix (1kg à 60.000 F CFA) n’est d’ailleurs pas à la portée de tous. « Nous avons été obligé de trouver des alternatives qui n’existent pas dans les documents européens », dixit le technicien qui n’a voulu entrer dans les détails. Chaque six mois, il arrive à produire six tonnes de poissons. « On peut produire plus mais comme nous sommes aussi dans le domaine de l’écloserie, c’est un peu difficile », a-t-il justifié.
Intervenant aussi dans la confection de bassins hors sol en bâche PVC dont la durée vie varie entre 10 et 20 ans selon l’entretien, lui aussi peut assister ceux qui désirent se lancer dans l’élevage de poissons à domicile.

Voilà autant d’initiatives qui peuvent conforter le gouvernement dans sa politique car, comme l’a déclaré Moustapha Tassembedo, ancien DGRH, le développement des ressources halieutiques est porté par la volonté politique à travers l’élaboration et la mise en œuvre de la politique nationale de développement durable de la pêche et de la pisciculture et de la stratégie nationale de développement durable de la pêche et de la pisciculture adoptée depuis 2013. Plus récemment, on a le décret 2021-1220/PRES/PM/MATD/MINEFID/MAAHM/MEA/MRAH/MEEVCC portant conditions de création, d’exploitation et de concession d’établissement d’aquaculture au Burkina Faso qui balise les conditions de mise en œuvre et de développement de l’aquaculture au Burkina Faso.

Le but est de créer un sous-secteur porté par des acteurs privés dynamiques, qui contribue par une gestion durable de la pêche et de l’aquaculture à la sécurité alimentaire et au développement du secteur rural impliquant le choix porté par le privé comme agritech afin de développer un potentiel hub.

En effet, selon l’ingénieur halieutique, la création d’un hub est bien possible, surtout au niveau du barrage de Samendeni (département situé dans la région des Hauts Bassins) avec un potentiel de 1,05 milliards de m3 d’eau et où la technologie de cages flottantes pourrait contribuer à produire plus de 200 000 tonnes de poissons à condition que des normes technologiques de construction desdites cages soient développées afin de les protéger contre les prédateurs majeurs comme les crocodiles. « En aval de Samendeni, il y a un potentiel de 30.000 ha à aménager pour les productions agro sylvopastorales et halieutiques avec un potentiel de pisciculture en étangs et en bassins de plus de 300 000 tonnes », a-t-il ajouté, évoquant aussi la mise en place d’une technologie agroalimentaire de production d’aliments performants pour poisson à moindre coût qui permettra à ce hub d’accroître sa rentabilité économique.

En terme de perspectives, le gouvernement a pour ambition de mettre en place une industrie de fabrication d’aliments performants pour poisson à moindre coût, mettre en place des technologies appropriées, adaptées et robustes pour assurer le développement piscicole, développer et mettre à disposition des souches performantes d’espèces halieutiques pour la production piscicole et halieutiques et renforcer les capacités de l’ensemble des acteurs.
Autrement dit, l’environnement institutionnel est favorable au développement du partenariat privé et de hubs pour l’accroissement de la production halieutique.

Zalissa Soré

Journaliste et Directrice marketing et communication de Ouagadougou